To be lost

C’est seulement quand on a tout perdu qu’on est libre de faire tout ce qu’on veut.

Depuis toute petite, je n’ai jamais vraiment eu le sens de l’orientation. À l’école, quand on faisait des courses où l’on devait se repérer grâce à une boussole et une carte, je trouvais toujours le moyen de me perdre et d’arriver la dernière. Les professeurs se tiraient les cheveux pour essayer de me faire comprendre comment s’orienter sans résultat. Je n’ai jamais vraiment compris en quoi savoir où est le nord était un moyen de trouver notre chemin… Enfin, la question n’est pas là. La seule chose qui compte en ce moment est que je me trouve actuellement en plein milieu du centre de Giving For Africa dans un pays qui m’est totalement inconnue et je n’ai absolument aucune idée de là où je dois me rendre. Je suis arrivée au centre il y a à peine trois jours.  J’ai eu du temps pour m’installer correctement dans mon logement qui se trouve être une petite maison vraiment jolie et bien aménagée. D’habitude, j’ai toujours une période d’acclimatation avant de me sentir bien à un endroit. Ici, cette étape a quasiment été inexistante. Ce centre est la parfaite illustration de ce que je voulais trouver en quittant la France. Pendant ces trois jours, j’en ai profité pour en apprendre un peu plus sur GFA et sur l’Afrique du Sud en général. Lire son histoire et comprendre ses coutumes sont pour moi les meilleures méthodes pour connaître un pays.

Aujourd’hui est mon premier jour vraiment où je commence mon bénévolat dans le domaine animalier. J’ai rendez-vous à la clinique vétérinaire à neuf heures pour rencontrer mon chef d’équipe qui est censé me guider les premiers jours et me montrer en quoi consiste mon rôle. Cependant, je pense que cela va être compromis étant donné que je n’ai absolument aucune idée d’où se trouve cette clinique vétérinaire. Pourtant, je me suis renseignée avant mais mon super sens de l’orientation a pris le dessus. Je regarde autour de moi pour essayer de reconnaître un bâtiment ou même un arbre mais en vain. Je pourrais demander à un passant mon chemin mais je n’ose pas, ils semblent tous si pressés et je ne veux pas embêter. Tant pis, je vais devoir me débrouiller seule. Je crois que je suis à l’entrée du centre, à côté du bureau de contrôle. Bien, donc normalement si je suis ce chemin et que je prend à droite, je devrais tomber sur… l’école humanitaire ? Je pousse un long soupir et prend ma tête entre mes mains, c’est pas possible d’être aussi nulle… J’aurais vraiment du faire un effort pour écouter en cours de sport. Je jette un coup d’oeil à ma montre : 9h14. Je suis officiellement en retard le premier jour de mon bénévolat. Bien Abi ! Je regarde autour de moi, il n’y a personne. Même si je déteste faire ça, je vais bien être obligé de demander mon chemin à quelqu’un. Je prend mon courage à deux mains et pousse doucement la porte de l’école.

Je tombe nez à nez avec une pièce vide. Elle est de taille moyenne et les murs sont recouverts de peintures d’enfant. Quelques tables et armoires rendant la salle moins vide. Un ventilateur accroché au plafond permet de garder une température supportable. À ma gauche se trouve un grand bureau avec beaucoup de feuilles dessus, cela doit être une sorte d’administration où se trouve tous les dossiers des enfants. Je m’approche d’un pas timide vers un tableau où se trouve de nombreuses photos. Ce sont des clichés qui ont été pris lors de la construction de l’école. La dernière photo me rend émue. Il y a un groupe d’enfants assis dans la salle de classe, ils ont tous un énorme sourire scotché sur leur visage. À leurs côtés se trouve une femme qui semble aussi heureuse qu’eux. La qualité n’est pas super mais je trouve que c’est la plus belle photo. Elle montre vraiment l’espoir et le bonheur des enfants. Un dernier coup d’oeil sur les clichés avant de reprendre mon chemin. Sur ma droite se trouve un couloir, vide lui aussi. Je m’avance timidement en regardant régulièrement derrière moi espérant trouver une présence humaine.

D’un geste au ralenti, j’ouvre la première porte à gauche espérant ne pas tomber nez à nez avec une classe d’enfant. Quoi de plus gênant que de se retrouver face à une vingtaine de tête qui t’observent… Heureusement pour moi, la classe est vide. Enfin, pas tout a fait. Au fond, assis près d’une fenêtre se trouve un homme âgé entre vingt et trente ans je dirais. Absorbé par ses écrits, il n’a pas remarqué ma présence. Qu’est ce que je fais ? Je pourrais très bien m’éclipser de la salle sans qu’il s’en rende compte, cela me paraît une bonne idée. Mais je pourrais aussi lui demander gentiment mon chemin… Allez Abi, sois un peu courageuse pour une fois et fonce. Je prend une grand inspiration et me lance. «  Bonjour, excusez moi de vous déranger, mais je crois que je suis un peu perdue... Je cherche la clinique vétérinaire ? » dis-je d’une voix timide et peu rassurée.

TO BE LOST

Les yeux rivés sur sa feuille, Andrew se retint de ne pas pousser un soupir d'énervement. Depuis qu'il était assis dans cette pièce, il se demandait ce qu'il y faisait. Pour quelles raisons avait-il accepté de donner des cours de sciences aux élèves du centre ? Il le sentait au fond de lui, il n'avait rien d'un enseignant capable de leur expliquer les choses les plus fondamentales de la biologie. Sur un coup de tête, il n'avait pas eu le coeur à refuser la proposition faite par Felicity, il n'avait pas su comment dire non alors que déjà elle lui lançait un sourire heureux. Il avait simplement répondu oui, de peur de la vexer et maintenant il se retrouvait là à réfléchir à ce qu'il pourrait bien raconter à ces futurs élèves. Rien que songer à ce mot suffisait à le faire stresser. Il avait toujours aimé partager son savoir, enseigner aux autres, leur parler de sa passion mais jamais il n'avait été confronté à des esprits enfantins. Avec les années, à mesure que ses connaissances grandissaient, son vocabulaire était devenu compliqué , et il était effrayé à l'idée de ne pas se faire comprendre. D'être un piètre enseignant. Pourtant, il avait décidé de commencer en choisissant un thème facile: la classification du vivant, mais depuis presque une heure il ne cessait de recommencer à écrire ses notes, trouvant son discours trop scientifique. La réserve était le lieu idéal pour leur expliquer les choses les plus basiques, pour leur montrer les différences existant entre chaque espèce mais c'était en lui qu'il ne croyait pas. Il avait toujours aimé les enfants, ces petites têtes blondes avec lesquelles il aimait passer du temps, mais les savoir face à lui, attentifs à chacune de ses paroles était une source d'inquiétude.

Enervé, il griffonna quelques mots sur sa page remplie d'écritures avant de la froisser et de la jeter sur le sol. En temps normal, il faisait preuve d'une patience légendaire, capable de résister à toutes les formes d'anxiété. Et là tout était différent. Depuis plusieurs jours, il tentait de faire taire cette voix dans son esprit, qui brouillait son jugement. Qui obscurcissait son âme. Il essayait de faire preuve de calme, mais il était en colère contre lui-même et contre elle. Contre Rebekah. En quatre ans, jamais il ne s'était senti si blessé et peiné. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, elle l'avait mis à l'écart de son existence, lui cachant sa relation avec un dénommé William. Ce n'était pas tant la jalousie qui le faisait souffrir, même s'il pouvait sentir dans chaque pore de sa peau, ce sentiment si désagréable, si néfaste à son équilibre. C'était le fait qu'elle lui ait caché les faits, qui l'avait blessé. Il ne comprenait pas. En venant ici, il avait espéré pouvoir avoir une conversation concernant le baiser échangé quelques mois plus tôt, mais c'était une toute autre scène qui s'était déroulée. Sans même penser aux émotions de son meilleur ami ou au mal qu'elle pouvait lui faire, elle lui avait simplement annoncé qu'elle était en couple. De but en blanc, sans le ménager, elle avait appuyé si fortement qu'elle avait réveillé un sentiment de colère profondément enfoui. Pour la rejoindre, il avait parcouru des milliers de kilomètres et finalement il l'avait perdu avant même qu'elle soit sienne. Il avait perdu sa meilleure amie. Après cet évènement, il avait passé des heures à s'interroger, à réfléchir à toute cette situation, sans jamais trouver de réponses. Il ne comprenait pas. Ce n'était pas dans les habitudes de sa meilleure amie de le mettre en retrait, de ne pas l'informer et encore moins de le faire souffrir de la sorte. Pourtant, elle l'avait fait et il lui en voulait. Il lui en voulait autant qu'il pouvait l'aimer. Sans elle, il se sentait seul. Elle était si proche de lui, seulement à quelques centaines de mètres mais c'était comme si un océan s'était dressé entre eux. Cette distance émotionnelle lui faisait mal. Plus mal qu'il aurait pu l'imaginer. Alors il essayait de ne pas y penser, de se concentrer sur des choses moins douloureuses. C'était sûrement pour cette raison qu'il avait dit oui à Felicity. Il savait qu'en occupant son esprit sur quelque chose d'utile, il cesserait de se perdre dans les méandres de ses pensées. Les minutes passaient, mais il n'avançait pas, il restait au point mort.

Quelques secondes, les paupières fermées, il fit le vide dans son esprit puis il se mit à feuilleter le gros livre trônant devant lui, espérant que celui-ci parviendrait à l'aider.  Il se sentait idiot de ne pas y arriver. Il connaissait le sujet par coeur, mais il se mettait tellement la pression, de peur de ne pas réussir, qu'il en devenait bon à rien. Frustré de ne pas avancer, les yeux fixés sur sa feuille blanche immaculée, il attendit qu'un éclair d'illumination surgisse. Absorbé par la blancheur de son papier, il ne remarqua même pas que quelqu'un était arrivé dans la salle, qu'il occupait. Ce fut une voix féminine qui réussit à le faire sortir de son état de transe psychique. Surpris, il sursauta légèrement avant de se retourner pour regarder la jeune femme qui était en train de l'observer. Elle semblait perdue, limite apeurée à l'idée de lui parler, ce qui le fit sourire. Elle ne devait pas être arrivée depuis très longtemps. Elle ne paraissait pas très âgée, avec sa silhouette frêle et son visage enfantin. Il lui lança un regard doux comme pour la rassurer.   «  Bonjour. Il n'y a pas de problème je n'étais pas très occupé de toute façon. » commença-t-il à dire en haussant des épaules. Par politesse, il se leva de sa chaise avant de continuer à lui parler.  « Pour la clinique vétérinaire, elle n'est pas par ici, elle est dans l'autre direction. Vous cherchez quelqu'un en particulier ? Je peux peut-être vous aider »  répondit-il en laissant apparaître un sourire franc sur ses lèvres. Gentil, il avait toujours pris l'habitude d'aider les autres et de se montrer agréable même avec les inconnus.  «  Vous êtes nouvelle non ? » demanda-t-il simplement tandis qu'il réunissait toutes ses affaires éparpillées sur la table. Il n'avait même pas besoin d'attendre sa réponse pour savoir que c'était le cas. Cela se voyait dans son attitude. Se souvenant de ses premiers jours ici alors qu'il n'était qu'un étudiant, il soupira légèrement. A l'époque, il n'était pas plus à l'aise que l'inconnue face à lui, alors il comptait bien l'aider à retrouver son chemin.