Parle nous un peu de toi ?
Gaspard n’a jamais eu un comportement à problèmes, au contraire. Petit, il en étonnait plus d’un : il était capable de passer des heures à lire, mais tout autant de crapahuter dans les rochers et accompagner ses parents dans de longues randonnées. En fait, s’il était à l’intérieur, c’est qu’il était en train de lire. Sinon, il était à l’extérieur, en train de se dépenser. Il faut dire qu’ils avaient un grand jardin. La famille de Gaspard était plutôt aisé. Pas excessivement riche, mais tout de même privilégiée. Le père de Gaspard était allemand, sa mère française. Les premières années de sa vie, Gaspard les passa sur la presqu’île de Rügen, au bord de la mer baltique. Là-bas, le soleil se levait tard et se couchait tôt, particulièrement les mois d’hiver. Mais Gaspard apprît à aimer les charmes de la grande île. Son père avait un petit bateau et l’emmenait souvent pour des virées pendant les vacances scolaires. Gaspard avait le pied marin, et l’a toujours aujourd’hui. Et dans l’eau, il se sentait aussi bien qu’un poisson. D’ailleurs, il commença très tôt la natation, et gagna même ses premières compétitions. C’était un gamin très curieux, avec une mémoire assez exceptionnelle. Le revers de la médaille, c’était son manque de rigueur et de propreté dans son écriture, ses difficultés en mathématiques et en calcul mental, qui baissaient régulièrement sa moyenne générale à l’école élémentaire. Il était plutôt facile à vivre, comme enfant. Après le décès tragique de d’un père qui était pour lui un héros, survenu alors qu’il n’avait que douze ans et entrait dans cette période difficile qu’est l’adolescence, Gaspard se referma un peu. Désormais seul avec sa mère, le traumatisme était trop grand et ils quittèrent l’Allemagne pour s’installer en France, en Bretagne, à côté de la mer, pour ne pas trop dépayser Gaspard. Et en plus de cela, sa mère n’était pas loin de son frère, qui aidait la famille blessée du mieux qu’il le pouvait. Et Gaspard devint très proche de son oncle. Ce fut même ce dernier qui suggéra à sa mère de l’inscrire à des cours de boxe quand Gaspard cognait régulièrement ses poings contre le mur de sa chambre. Et les séances chez le psy ne donnait pas grand-chose. La boxe fut pour lui un échappatoire, un vecteur où il insufflait toute sa colère et ce sentiment d’injustice qu’il ressentait alors que son père n’était pas pour lui alors qu’il en avait le plus besoin.  Ses années au collège fut les pires de sa scolarité. Quand bien même son niveau de français était très bon (il avait l’habitude de le parler avec sa mère depuis longtemps) un fort accent allemand persistait et ses camarades n’appréciaient que peu ce garçon arrivé de nulle part dans ce collège de campagne, et il ne fut pas très bien accueilli, d’autant plus que les premières années il était réservé et encore instable psychologiquement à cause de la perte qu’il avait subi. Au fil des ans cependant, la douleur s’atténua peu à peu et au lycée Gaspard put repartir de zéro et se fit de nombreux amis. Mais la boxe resta pour lui un exutoire pour ses frustrations. Il avait apprit à se battre, et ayant été victime de bullying dans son collège, il refusait de voir cela dans son lycée. Il parvint ainsi à se faire respecter, et parfois même craindre. Il s’épanouît dans une filière littéraire, apprît à aimer ce pays d’adoption. Il rencontra la femme de sa vie en terminale. Tiraillé cependant entre deux patries, il choisit cependant de revenir en Allemagne pour faire ses études, poussé par sa mère qui voyait bien qu’il était nostalgique de son pays natal, dans lequel il n’était retourné que de rares fois en six ans. Youna, ayant soif de voyages, le suivit jusque dans la capitale allemande pour suivre des études scientifiques. Ce fut donc à Berlin que Gaspard suivit des études de français, dans lesquelles il excellait. Ce fut également là qu’il retrouva quelques amis d’enfance. Gaspard était alors quelqu’un de très sociable, loyal et juste, avec une grande ouverture d’esprit, qui savait faire la fête, mais aussi très travailleur ; et qui restait toujours féru de lecture, de natation – et encore de boxe. Il restait très borné, dans la lune, et parfois un peu trop direct. Et rancunier.

Depuis que Youna est dans le coma, le comportement de Gaspard a changé du tout au tout. S’il s’efforce de garder un esprit optimisme, il n’y parvient pas. Il n’a plus exactement la même passion qui l’anime lorsqu’il enseigne, il ne supporte pas la chaleur de ce maudit pays qui le rend plus facilement irascible, et surtout il n’a plus envie de faire quoique ce soit.

Pourquoi avoir posé tes valises en Afrique du Sud ? Lorsque l'on m'a appelé pour m'annoncer que Youna avait eu un accident et que son état était critique, j'ai eu l'impression d'étouffer. Je n'ai pas réfléchi. J'ai pris le premier avion. J'étais sensé la retrouver quelques semaines plus tard, le temps de régler les derniers papiers administratifs et de terminer mon contrat à Berlin. Je la retrouvais plus tôt, mais en de bien tristes circonstances.  Quelles ont été tes premières impressions en arrivant sur place ? Je n'avais qu'une seule chose en tête: aller voir Youna à l'hôpital. La ville, le pays... tout cela me passait au dessus. Mes yeux sont aveugles à la beauté de l'endroit. Ou plutôt, ils n'y sont que trop réceptifs mais refusent de le reconnaître. J'ai toujours adoré voyager, la nature, les grands espaces majestueux, faire de la randonnée... dans ce pays, il y a de quoi faire. Mais en être spectateur seul, sans la femme de ma vie à mes côtés... C'est violent.   Comptes-tu prolonger ton séjour parmi nous ?Cela fait maintenant presque trois mois que je suis ici. Je déteste ce pays. Je déteste cette ville. Mais j'y resterai aussi longtemps qu'il le faudra. Jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux, jusqu'à ce qu'elle me revienne.