ain't no sunshine when she's gone, it's not warm when she's away

Deux mois. Cela faisait deux mois qu'elle était partie. Elle s'était envolée. Elle n'avait rien laissé derrière elle pour expliquer ce départ précipité. Elle était juste partie. Je jetais une autre photo dans le feu. Mes yeux fixaient le papier se décomposait dans les flammes. Je me sentais mal, ma poitrine me faisait souffrir, j'avais recommencé à boire. J'étais perdu. Je pensais avoir trouver un équilibre avec Shay et tout était en train de s'effondrer. Cette idée me faisait souffrir le martyr. Je n'étais pas le seul qu'elle avait laissé, il y avait également notre fille de six ans. J'avais beau chercher, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi elle nous avait laissé tomber de la sorte. Ma mâchoire se figeait, mes poings se serraient. Je n'avais jamais ressenti ça. Ce vide que je ressentais, cette boule au ventre qui me donnait la nausée. Mes yeux se baissaient sur le carton qui contenait toutes les affaires de Shay, posé à mes pieds. De rage, je donnais un coup de pied dedans, l'envoyant dans le feu. De fatigue, je me laissais tomber dans l'herbe. Je détournais mon regard du feu sentant ma gorge se serrait. J'avais peur. J'étais effrayé à l'idée d'être seul, de ne pas savoir comment m'occuper de Maïtia, de ne pas être un bon père sans elle. Je passais une main tremblante dans mes cheveux. Je me sentais abandonné une nouvelle fois. Je m'efforçais de mettre une distance entre les gens et moi lorsque je les côtoyais, je ne voulais rien savoir d'eux et je ne leur disais rien de moi. Aucune attache. Sauf qu'avec Shay, ça avait été différent. Elle m'avait déchiffré, compris, aimé. Ce sentiment envers une femme avait été nouveau pour moi, je m'y étais habitué, je l'avais pris pour acquis. Je prenais mon visage entre mes mains avant de soupirer longuement. Les gens finissent toujours par vous trahir ou vous décevoir. Ne compter que sur soi-même est le seul moyen d'éviter la souffrance. Je regardais toutes ses affaires brûlées, les flammes remontant vers le ciel sombre m'aveuglaient légèrement.

Encore une fois, j'étais convoqué à l'école. Les professeurs ne cessent de se plaindre du comportement que pouvait avoir Maïtia. Accoudé à la table, le regard perdu dans le vide, je faisais mine d'écouter le discours de la femme assise en face de moi. J'avais déjà entendu son discours une centaine de fois : ma fille est insolente. Je la qualifierais plutôt de franche, ce que certains adultes semblaient interpréter pour de l'insolence. Je n'allais tout de même pas lui faire la morale parce qu'elle avait du caractère. Puis à chaque fois que l'enseignant me conseillait de faire quelque chose, j'avais l'impression qu'elle me criait que je n'assumais pas mes responsabilités en tant que père. C'était assez compliqué comme ça, je n'avais pas besoin que l'on me fasse des reproches. Un père blanc élevant seul sa fille métisse n'était pas bien vu par tout le monde dans les alentours. Donc d'un côté, cela me rassurait que m fille ait du caractère pour faire face aux regards plein de jugements ou encore des chuchotements plein de haine. « N'est ce pas, monsieur Foxx ? » Je sursautais, la voix de la jeune femme me sortant de mes pensées. Je n'avais pas écouté un seul mot de ce qu'elle avait dit. La bouche entrouverte, ne sachant pas quoi répondre, je tournais la tête vers ma fille, assise à ma droite qui hochait la tête positivement. Je reposais mon regard sur la professeur avant de m'empresser de répondre en affichant un air sérieux. « Oui, bien sûr. » Elle ne semblait pas convaincue. Je voyais Maïtia mimait quelque chose pendant que sa professeur fouillait dans son bureau. Je devinais que je devais être en colère contre elle. Je ne l'étais jamais, ou très rarement. Nous avions une relation particulière depuis que sa mère était partie. « Nous espérons voir un changement dans le comportement de votre fille. » Maïtia se retenait de rire. Je serrais la main de la professeur avant de m'enfuir de ce bureau. Après avoir refermé la porte derrière moi, je passais une main dans le dos de ma fille pour la faire avancer vers la sortie. Encore une fois, j'étais venu, je m'étais assis, on m'avait raconté que ma fille s'était battu, Maïtia m'avait expliqué la raison pour laquelle elle avait frappé un autre élève, j'avais trouvé ça légitime, j'avais fait comme si j'étais fâché contre elle, et j'étais reparti aussi vite que j'étais venu. « Tu lui as fait bien mal j'espère. » lui chuchotais-je avant de lui proposer de taper dans ma main. Elle le fit, un sourire accroché aux lèvres.

« Pourquoi tu te sens obligé de te comporter comme un con comme ça ? » Je levais les yeux vers mon partenaire en me tenant le nez. Il avait les mains sur les hanches et me fixait d'un air réprobateur comme à son habitude. Après avoir plongé une main dans une de ses poches, il me tendait un mouchoir. Je m'essuyais le nez alors qu'il me donnait une tape derrière la tête. Mes sourcils se froncés avant que je ne lui adresse un doigt d'honneur. L'autre gars sortait du bar en m'insultant de tous les noms. J'ai tendance à m'emballer pour rien et à en venir rapidement aux poings. Mon partenaire en a déjà fait les frais d'ailleurs, il a autant de fierté que moi. « Pourquoi ? Tu m'expliques ? T'aime ça prendre des coups ? » Je secouais la tête, agacé. Je détestais qu'il me dise ça. Cela me rappelait toute cette violence qui avait bercée mon enfance. Mon père me reprochait de ne jamais être à la hauteur avec trois bouteilles de whisky dans le nez, finissait par m'enfermer pendant des heures et me frappait sans raison. Ma mère avait toujours essayé de me protéger de lui. Je secouais la tête de gauche à droite avant de faire signe à mon partenaire de laisser tomber. Puis un jour, des gens sont venus me chercher et m'ont emmené dans une famille d'accueil, les Simmons. J'avais alors neuf ans. Je n'ai plus jamais revu mes parents, je n'ai aucune idée de ce qu'ils sont devenus. Non pas que je m'inquiète pour mon ivrogne de père, mais je m'étais toujours demandé ce qu'était arrivé à ma mère. Je m'en étais toujours voulu de l'avoir laissée seule avec lui. Cet homme dans le bar m'avait provoqué, j'avais répondu sans réfléchir, de plus, j'avais bu ce qui diminuait ma capacité à réfléchir qui était déjà faible d'ordinaire. L'adrénaline avait rempli mon corps, mes poings s'étaient tellement serrés sous l'effet de la colère que je n'avais rien senti en le frappant. C'était comme si sous l'effet de la colère, je n'étais plus moi-même. Je perdais le contrôle. Mon partenaire tentait d'attraper mon bras pour m'aider à me relever. D'un geste vif, j'éloignais mon bras de lui, lui disant que je n'avais pas besoin d'aide. En réponse, il me poussait un peu plus pour me refaire tomber. « Mince, désolé. » disait-il sur ce ton ironique qui m'agaçait au plus haut point. Il était arrivé il y a quelques mois de ça, et depuis ce moment, nous travaillions ensemble. Le seul problème était que nous ne nous supportions pas. A plusieurs reprises, on en était venu aux mains pour un stupide malentendu et nous avions fini dans le bureau de notre superviseur. On ne se supportait pas, mais nous étions également inséparables, paradoxalement. « Va te faire foutre. » lui répondais-je d'une voix neutre. Alors que je me relevais, il courait en direction de la voiture, sûrement pour prendre la place côté conducteur avant que je ne le fasse. Je détestais monter en voiture avec lui. Il me posait toujours une tonne de questions auxquelles je n'avais pas la moindre envie de répondre. On se comporte comme chien et chat, mais sur le terrain on se complète tout en étant profondément différents.

Je passais mon bras autour de sa taille, me rapprochant un peu plus d'elle. Le visage enfouit dans son cou, son parfum m'enivrait. On s'était rencontré à l'une de ces soirées banales dans un bar. Mon partenaire avait envie de boire un coup pour oublier ses problèmes de couple avec son ex-femme. Il m'avait traîné avec lui en pleurnichant et elle se tenait juste de l'autre côté du bar. J'avais cru entendre le barman l'appelait Aliya, mais je n'en étais plus sûr. Connaître son prénom ne faisait pas partie de mes priorités. Aucune attache, d'ailleurs on ne se reverrait sûrement plus jamais. Elle me demandait mon prénom. Je gardais le silence faisant comme si je n'avais pas entendu la question. Depuis que la mère de ma fille est partie, je n'avais pas eu de relation sérieuse et stable avec une femme. Je ne le désirais pas, ou du moins j'avais peur de le vouloir. L'idée de me confier à nouveau et de donner la possibilité à une femme de me briser en mille morceaux me rebuter. Si pour ne pas souffrir, il ne fallait pas aimer, ainsi serait-il. Il s'agissait de ne rien partager, passer des nuits avec des inconnues qui ne savent rien de moi et que je reverrais plus. Ce genre de relation n'imposait rien et ne m'engageait d'aucune façon. Ce n'était que du sexe, désirer et être désirer. Elle proposait des prénoms en tout genre, mais je ne répondais toujours rien. Elle semblait laisser tomber alors que je sentais sa main dans mes cheveux. J'étais tombé dans le piège. Avec elle, ce n'était pas comme avec les autres. Depuis peu, nous bossions ensemble, en effet, nous avions une sorte d'accord avec sa récente association de lutte contre le braconnage. Disons que notre collaboration était quelque peu chaotique. Elle n'aimait pas tout le temps mes façons de fonctionner, nous ne cessions de nous envoyer des piques, nous laissons sous-entendre certaines choses cherchant à pousser l'autre à bout. Elle essayait de me comprendre, d'en apprendre plus sur moi et parfois, j'étais tenté de lui en dire plus. Notre collaboration était parfois tendue parce que nous avions des avis divergents sur comment agir notamment. Elle n'arrivait pas à comprendre mon inépuisable recours à la violence. J'évitais le plus possible de travailler avec elle parce que ce que je ressentais en sa présence m'effrayait. Nous étions comme des aimants, sans cesse attiré l'un par l'autre.  J'étais tombé dans le piège. Ce que je ressentais pour elle me rappelait bien des choses. C'était un jeu. Celui qui désirerait plus l'autre, celui qui ne pourrait plus se passer de l'autre serait perdant, ce serait à celui qui ferait céder l'autre. Ce jeu pouvait paraître bien malsain, pourtant nous continuions de jouer, encore et toujours. On se dit toujours que ce sera la dernière fois, alors qu'on sait qu'on ne pourra pas s'arrêter. Ne plus s'attacher pour ne plus souffrir, ne plus désirer pour ne plus dépendre de quelqu'un. Avec Aliya, tout avait été différent, si rapide, si malsain. J'avais fini par céder, je m'étais attaché à elle, je dépendais d'elle, de ce qu'elle faisait, de ce qu'elle disait même si je faisais tout pour le cacher. Au fond, je le savais, elle contrôlait la moindre de mes émotions. C'était à celui qui rendrait l'autre jaloux, celui qui ferait le plus souffrir l'autre, parce que ce que l'on aime au fond, c'est ce plaisir malsain qui n'est rien d'autre que contrôler l'autre, ce qu'il ressent. Je m'étais juré de ne plus tomber de la sorte, je ne l'avais même pas vu venir. J'étais tombé dans le piège.