On dit souvent que la peine s’estompe avec le temps. Mais ça n’est pas toujours vrai. La perte d’un enfant ne vous fait plus ressentir de peine avec le temps. Elle ne vous fait plus rien ressentir du tout. Tel un vide qu’on aurait creusé à l’intérieur. Elle vous laisse sans rien, sans espoir, sans but. Elle vous laisse sans vie. Il n’aurait jamais imaginé un jour devoir affronter ça. Il avait été préparé pour bien des tragédies, des guerres, des combats, des morts, mais jamais on ne l’avait préparé pour ça.

Son regard se posa sur la silhouette de sa femme assise dans la chambre de leur fille. Il ne comptait plus les heures qu’elle y passait, à errer un doudou à la main, se remémorant des instants passés. Des souvenirs à présent bien trop douloureux. Il avait toujours trouvé les mots pour la réconforter, il avait toujours été là qu’importe ce qu’elle avait pu endurer. Mais pas après ça. A présent, il ne trouvait plus les mots. Il ne savait même pas comment il tenait encore debout. Il n’avait plus la force d’être fort pour deux. Il avait tout perdu quand elle avait quitté ce monde. Il aurait préféré mourir au combat que d’avoir à affronter ça.

Doucement il pénétra dans la pièce, comme s’il avait encore peur de la réveiller. Oh il aurait aimé la réveiller. Il aurait aimé que tout ça ne soit qu’un cauchemar et qu’elle se mette à hurler. Pitié qu’elle se mette à hurler. Il s’arrêta près du berceau et y posa ses mains tremblantes. On ne vous prépare pas à ça. Une larme coula le long de sa joue et tomba dans le lit vide. Elle avait ses yeux et la bouche de sa mère. Mary. Elle en aurait fait craquer plus d’un à l’âge de seize ans il en était persuadé. Il passa une main sur son visage et se racla la gorge. Ça faisait des jours. Il se résigna à s’éloigner du berceau et il s’approcha doucement de sa femme. Elle scrutait d’un regard vide le petit lion en peluche qu’elle tenait dans la main. Son préféré. Ses doigts se refermèrent sur les siens tandis qu’il s’accroupissait à sa hauteur.

« Sara… » Un sursaut la fit se lever.

« Ne fais pas ça. »

Sa voix est cassée. Ses yeux le supplient.

« Faire quoi ? Tu me repousses dès que j’essaie de t’approcher… »

Elle s’éloigna vers la porte mais ses pas s’arrêtèrent à l’entrée.

« Parce que maintenant tu essaies d’être présent ? »

Elle se retourna violemment et il décela de la colère dans sa voix. Et il s’en voulait. Elle lui en voulait. Elle ne lui pardonnera jamais tout comme il ne se pardonnera jamais de ne pas avoir été présent quand elle est morte. Il ne se le pardonnera jamais. Jamais.

« Tu sais bien que j’aurai tout fait pour être là. »
« Mais tu ne l’étais pas. »
« Sara… »

Ses mains se refermèrent sur ses bras et elle se détacha aussi vite qu’il s'était approché d’elle.

« Ne me touche pas ! »

Les larmes au bord des yeux, elle serra ses bras contre elle, comme s’il venait de lui faire mal. Il lui avait fait mal. De bien des manières différentes. Mais c’était bien plus profond maintenant.

« Je… » Elle se coupa et ravala un sanglot. « J’ai besoin d’être seule. » Il allait prendre la parole mais elle le coupa d’un regard. « Un certain temps. »

Ça le tuait. Ça le tuait de la voir comme ça et de ne pouvoir rien faire. Ça le tuait de savoir qu’il était en partie responsable de ce qu’elle pouvait ressentir. Il aurait dû être là. Il avait toujours été présent pour son pays et elle lui avait déjà reproché ça. Il ne l’avait jamais vraiment prit au sérieux. A présent il ne la comprenait que trop bien. Il passa à côté d’elle, son cœur s’arrachant à chacun des pas qui l’éloignait d’elle. D’elles.