♣ Parle nous un peu de toi ?

Lorsque j'étais jeune, on disait de moi que j'étais un vrai bout en train. J'ai assez jeune compris que je ne pouvais pas compter sur mes parents, alors je me suis mise à sortir pour passer le temps. Le bruit, la musique, les conversations futiles, voilà ce qui formait mon univers à l'époque. Cela me donnait la fausse impression d'exister pour quelqu'un, autrement dit pas pour mes parents, mais pour mes amis. Je fréquentais aussi le milieu huppé de mes parents où je jouais alors le rôle de la jeune fille de bonne famille. Personne ne se faisait trop d'illusion sur mes frasques mais tant qu'elles restaient dans le monde de la nuit et n'en sortaient pas, ça n'avait guère d'importance. On disait que j'étais enjouée, drôle, sexy et tout un tas d'autres qualificatifs qu'on n'appliquerait plus à celle que je suis devenue.

Après la naissance de Samuel, j'ai eu une période où j'étais complètement éteinte. C'est là que je me suis rendu compte que mes sois disant amis n'en portaient que le nom. Alors que j'avais besoin plus que jamais d'être soutenue et d'être sortie de ma solitude, on m'évitait. Personne ne savait pour Samuel bien entendu, on croyait que je vivais mal que ma mère qui portait bien sa quarantaine ait subitement eu envie d'avoir un autre enfant, un peu comme si je n'étais pas à la hauteur de ses attentes. C'étaient les bruits qui couraient et ils ne m'atteignaient pas. J'avais arrêté de boire et de fumer pendant ma grossesse, et je n'ai pas repris après. La seule chose que je me suis remise à faire, c'est étudier, et je l'ai fait plus sérieusement que jamais. J'ai aussi commencé une thérapie en grande partie parce que mes parents – bien que certain d'avoir fait ce qu'il fallait – avaient remarqué (on ne sait trop comment) que j'allais mal. D'enjouée, je suis devenue réservée, de drôle, je suis devenue un peu froide (quoique assez pince sans rire), quant à être sexy, je suppose que je peux l'être encore, sauf que lorsque je me fais belle, ce n'est plus pour séduire, c'est pour moi. J'ai payé le prix fort pour apprendre ce qu'il en coûte d'être superficielle. Le monde est devenu plus consistant à mes yeux mais un peu vide de sens aussi. On me considère comme plutôt douée dans mon domaine – la psychologie – néanmoins écouter les plaintes des gens qui, comme moi autrefois, n'ont que le soucis de savoir comment remplir leur morne existence… cela avait vite fini par me lasser. Je ne suis pas quelqu'un de vraiment gentil. Sauf avec les enfants, peut-être parce qu'on m'a privé du droit d'être la mère de mon fils. Je suis incapable de simuler de l'empathie alors que je ne la ressens pas.

Ici, au sein de Giving for Africa, je n'ai plus à faire semblant. Mon aide est la bienvenue, on me laisse m'occuper des séquelles psychologiques des enfants, et parfois de celles des adultes, et lorsqu'il y a besoin de bras, je n'hésite pas à me mettre à la tâche. On peut dire de moi que je suis laborieuse. Et comme je n'ai pas besoin d'argent – je n'ai quasiment pas utilisé mes payes d'autrefois et mes parents sont toujours prêts à m'en envoyer si nécessaire -, je peux vraiment uniquement mon consacrer à mes tâches. Loin de l'Angleterre, j'essaie de comprendre celle que je suis maintenant et de construire une Lucy qui pourra retourner dans son pays récupérer ce qui lui appartient : mon fils Samuel.

En bref, je suis déterminée.

♣ Pourquoi avoir posé tes valises en Afrique du Sud ?

Quand j'avais 19 ans, je suis tombée enceinte – de qui, telle est la question -. Comme mes parents ne supportaient pas la honte d'avoir une fille engrossée (surtout que ce n'était pas ma seule tare), ils m'ont conduit en Suisse et une fois l'accouchement passé, nous sommes revenus en Angleterre avec mon fils qui était officiellement mon frère, Samuel. Je suppose que j'avais le choix, j'aurais pu décidé de ne pas faire comme mes parents me l'ordonnaient, mais j'avais grandi dans un milieu aisé, on ne m'avait jamais appris à être indépendante, et je m'étais lancée dans des études qui promettaient d'être longues. N'ayant d'autres choix vu mon incapacité flagrante à m'occuper de moi – et donc d'un bébé -, j'ai repris mes études pour devenir psychologue. Mais une fois que j'ai commencé à exercer, je me suis assez vite rendu compte que ça ne me convenait pas. J'ai alors cherché un autre endroit où mes compétences, ma motivation et – soyons honnête – mon argent pourraient me donner une place plus en adéquation avec mon sentiment de rancœur tenace. J'avais assez étudié la psychée humaine pour savoir que rester près de mes parents était en train de m'étouffer, même en ne vivant plus avec eux, alors il fallait que j'aille loin. Faire quelque chose de respectable pour qu'on approuve mon choix, mais qui soit assez prenant pour qu'on comprenne que je ne puisse revenir. Quelque chose qui ne comprenne pas de mondanités non plus. Partir faire du bénévolat sur un autre continent semblait parfait, l'idée s'est rapidement imposé à moi. L'Afrique du sud est un choix qui est surtout ressorti de mes recherches. L'Asie aurait aussi bien pu faire l'affaire mais j'ai préféré l'Afrique du Sud, décision que je ne regrette pas.

♣ Pourquoi avoir choisi Giving For Africa pour faire ton bénévolat ?

J'ai entendu parler de Giving for Africa par certains de mes clients et en fouillant un peu, je me suis rendu compte que j'avais fréquenté certaines personnes ayant un lien avec cette association lorsque j'étais plus jeune. C'est ce qui m'a décidé pour cet endroit plutôt qu'un autre. Notons qu'en plus, le fait que l'association soit déjà connue dans le milieu social de mes parents faisait passer plus facilement la pilule amère de mon départ. Mes parents étaient très heureux de m'avoir vu reprendre le droit chemin après notre séjour en Suisse, mais ils n'étaient pas complètement dupes. Ils savaient que quelque chose en moi s'était cassé et qu'il était trop tard, pour eux comme pour moi, pour réparer les dégâts. Jamais ils ne m'auraient laissé partir – plutôt m'enfermer ! - dans un endroit trop inconnu. Là, ils savent où je suis, ils savent que c'est un lieux où le bénévolat est sérieux, et aussi que je suis joignable – même si moins facilement que quand je vivais dans la même ville qu'eux -. Pour le confort de tous, et y compris de Samuel, c'était le meilleur choix.

♣ Quelles ont été tes premières impressions en arrivant sur place ?

Au début j'étais un peu perdue, voire un peu aveuglée. C'est que le climat n'est pas exactement le même qu'en Angleterre ! Mais j'ai eu peu de temps pour réfléchir, je me suis rapidement mise à travailler. J'aide aux tâches diverses et sinon je suis psychologue (mon vrai métier quoi). J'essaie de m'occuper surtout des enfants, mais il y a assez à faire pour que je vois aussi des adultes. Si besoin était, je suppose qu'il faudrait aussi que j'intervienne auprès des bénévoles, mais dans la mesure du possible, je préférerais éviter. En bref, mes impressions étaient plutôt bonnes mais je n'ai pas encore vraiment pris le temps de réfléchir à ma nouvelle vie, je prends chaque journée comme elle vient et pour le moment elles répondent à mes attentes : je suis loin de chez moi.

♣ Comptes-tu prolonger ton séjour parmi nous ?

Je suis venue ici pour reconstruire ma vie, donc je n'ai aucune raison de partir tout de suite, d'autant que je peux rester bénévole sans craindre pour mes finances. Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour réussir à me retrouver. Quelques mois ? Une année ? Plus ? J'ai déjà perdu dix ans avec mon fils, je ne suis plus à ça près. ici, encore une fois, je respecte mon adage premier : à chaque journée suffit sa peine. Et peine est parfois à prendre au premier degré.